Comment le droit de l’urbanisme peut-il contribuer à l’émergence d’un urbanisme plus inclusif à Beyrouth ?

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Mercredi 28 septembre se tenait, en ligne « online » comme on dirait en franglais libanais, un séminaire intitulé « « Urbanisme inclusif et patrimoine contemporain à Beyrouth : modalités et enjeux » dont le programme complet est ici organisé sous l’égide de différents partenaires libanais et français par Maria Bassil.

Dans ce cadre, je me suis dit qu’il serait peut-être intéressant de réfléchir de manière un peu générale sur ce que le droit pouvait apporter à l’émergence d’un urbanisme (plus) inclusif à Beyrouth. Les quelques paragraphes qui suivent constituent la synthèse de mon intervention.

introduction

Selon les auteurs et les sources la notion d’urbanisme inclusif a un contenu plus ou moins large : protection d’un certain nombre de groupes discriminés, en raison de critères divers liés à leur origine, leur vulnérabilité ou de leur genre, pour les sens les plus restreints ou, dans un sens plus large, tout ce qui tente de remédier aux effets d’inégalité et d’exclusion que peut produire le contexte urbain. Pour les juristes, ce serait en quelque sorte un principe d’égalité territorialisé. C’est ce sens plus large que j’ai choisi de retenir pour cette présentation pour la raison qu’il permet d’aborder davantage de sujets qui posent problème à Beyrouth, sans sous-estimer que cet élargissement est aussi un affadissement de la notion puisqu’en définitive cela conduit à réfléchir aux perspectives globales d’amélioration de la régulation juridique de l’urbanisme à Beyrouth. Pas tout à fait néanmoins car, comme vous le verrez, j’ai choisi une « entrée par les acteurs » et leur inclusion dans les processus de décisions d’urbanisme pour mener cette réflexion.

Mais, avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de dire quelques mots sur la situation du droit de l’urbanisme au Liban. Je ne peux ici que renvoyer aux remarquables travaux qui ont été menés par Sébastien Lamy Willing, notamment dans le cadre d’une étude à laquelle a concouru le Gridauh en 2010 que vous trouverez ici

Je vous invite à vous référer tout particulièrement à la conclusion qui dresse en termes courtois un état des lieux qui désigne en réalité un environnement juridique de l’urbanisme très dégradé. Cela concerne aussi bien les normes qui sont à la fois vieillies dans leur approche, peu cohérentes dans leur organisation et peu protectrices d’enjeux majeurs, que les acteurs qui multiplient les illégalités, et mettent hors-jeu le pouvoir judiciaire, soit par régularisation de ces irrégularités soit par non-respect ou inexécution de ses décisions.

Il s’ajoute à cela un contexte juridique beyrouthin également très dégradé : un plan d’urbanisme obsolète, des textes spéciaux et dérogatoires pour les opérations d’aménagement et de « reconstruction » (comme celle du centre-ville par la société SOLIDERE) et une forte inertie face aux perspectives de réforme ou d’évolutions. Ainsi par exemple, dans le cadre d’un programme de coopération internationale avait été menées des études et rédigée une série de projets de plans (déplacements doux, espaces publics, gestion de l’éclairage).

Or, depuis que ces travaux ont été menés en 2010, aucun de ces plans ni même aucune préconisation particulière n’a été mise en œuvre.

on pourrait dire de manière un peu rude qu’il n’y a pas « d’urbanisme » à Beyrouth, au sens d’une science et d’une technique de l’organisation des villes, mais seulement des projets de construction.

Au total on pourrait dire de manière un peu rude qu’il n’y a pas « d’urbanisme » à Beyrouth, au sens d’une science et d’une technique de l’organisation des villes, mais seulement des projets de construction ou d’aménagement qui aboutissent à l’issue de compromis politico économiques.

Il serait bien évidemment illusoire de vouloir faire table rase de cette situation, plus encore dans la période de crise que connaissent actuellement le Liban et Beyrouth, mais paradoxalement la situation actuelle est peut-être une fenêtre d’opportunité, parce que la pression des acteurs de l’immobilier et de la construction est moins forte et celle des acteurs internationaux susceptibles de s’engager dans des plans de redressement au contraire plus importante.

Aussi, ce que je voudrais exposer dans les développements qui suivent est l’esquisse d’une possible stratégie visant à permettre d’atteindre les objectifs d’un urbanisme plus inclusif, plus proches des standards internationaux. Je ne prétends ni qu’elle soit la seule, ni même qu’elle soit la bonne, je la propose plutôt dans une perspective heuristique permettant d’identifier des enjeux et des points d’entrée.

Le point de départ est le suivant : si la régulation d’urbanisme n’évolue pas au Liban, si les projets de construction ou d’aménagement dont le produits de ces accords politico économiques que j’ai évoqués plus haut, c’est parce qu’il existe une cartellisation des affaires immobilières, précisément dans cette sphère politico économique. Aussi, le principal objectif consiste à introduire de nouveaux acteurs dans le jeu de l’urbanisme afin de « mettre en tension » les pouvoirs publics et ainsi favoriser l’avènement d’outils de droit de l’urbanisme de meilleure qualité.

I : Introduire de nouveaux acteurs dans le jeu de l’urbanisme : la création d’un espace procédural favorisant l’investissement de la société civile et des enjeux juridiques

A : L’émergence d’un droit de la participation du public dans les plans et projets d’urbanisme

On sait qu’une des caractéristiques de l’administration libanaise tient à ce que la « révolution de la transparence » initiée depuis une cinquantaine d’années dans les pays occidentaux n’y pas eu lieu : l’accès aux documents administratifs demeure embryonnaire, aussi bien que la participation du public à l’élaboration des décisions administratives.

Très caractéristiquement, en matière de document de planification urbaine cette participation est totalement absente hormis la vieille procédure de l’enquête publique qui intervient en fin de procédure, beaucoup trop tardivement et selon des modalités insuffisantes pour que l’avis du public puisse avoir quelqu’influence que ce soit.

Le premier élément de la construction d’une place et d’une implication du public passe donc évidemment par l’élaboration d’une procédure participative. Ceci étant dit, dans le contexte beyrouthin actuel, tenter de faire aboutir l’adoption ou la révision d’un plan d’urbanisme réglementaire est illusoire et hors de portée. Du fait de la crise économique, de l’effondrement des institutions publiques, aucun travail de cette ampleur ne peut aujourd’hui être mené. Aussi n’est-ce pas du côté de la planification, mais du côté des projets de construction et d’aménagement qu’il faut se tourner.

De ce point de vue, le droit de l’Union Européenne qui s’appuie sur la convention d’Aarhus de 1997 a fourni un cadre juridique au droit libanais qui en a adopté les principes : la loi n° 444 du 9 août 2002 sur la protection de l’environnement à prévu la participation du public pour les projets ayant des incidences sur l’environnement et 10 années plus tard, en 2012, le décret d’application qui a permis son entrée en vigueur a été édicté (décret n° 8633). Ce décret distingue entre les projets qui doivent impérativement faire l’objet d’une étude d’impact et, en ce cas, permettre la participation du public, et les projets qui doivent seulement faire l’objet d’un « examen de l’état initial de l’environnement » qui n’est évalué que par l’administration.

ce texte souffre toutefois de nettes insuffisances, spécialement pour les projets situés en milieu urbain : les constructions de moins de 15 étages sont totalement exemptées d’obligations de cette nature, quelle que soit la surface construire, et les constructions de plus de 15 étages, quelle que soit leur hauteur, ne sont pas soumises à la participation du public. Il en va de même pour une large part des installations industrielles ou d’entreposages qui peuvent s’implanter en contexte urbain. Enfin, la « participation du public se fait de manière médiate : après avoir consulté le projet les personnes concernées peuvent simplement adresser des observations au Ministre compétent.

Ainsi dans le cadre de l’urbanisme de Beyrouth, il serait nécessaire d’apporter à ce décret des modifications substantielles pour empêcher pétitionnaires et administrations d’agir à l’abri des regards et imposer une véritable discussion publique de la pertinence des projets de nature à rendre plus difficile et moins acceptable politiquement les plus sujets à controverse.

Il faut empêcher pétitionnaires et administrations d’agir à l’abri des regards et imposer une discussion publique de la pertinence des projets de construction ou d’aménagement

B : L’institutionnalisation de la place des Organisations non gouvernementales.

Ce que montre l’expérience des pays occidentaux en matière de participation du public dans les domaines de l’urbanisme et de l’environnement ; c’est que la participation « inorganisée » les plus souvent des personnes physiques situées dans l’environnement immédiat des projets n’a qu’une influence limitée et que les critiques peinent à être transcrites en  évolution des projets. Pour en arriver à ce point il est nécessaire qu’une forme de professionnalisation et de capitalisation d’expertise permette de construire une analyse et un discours susceptible de discuter efficacement celui de l’administration et du pétitionnaire.

C’est précisément tout l’intérêt de donner une place particulière aux ONG qu’à la fois légitimer les compétences et technicités déjà acquises que de conforter leur aptitude à en acquérir de nouvelles.

Les solutions les plus simples pour permettre de donner cette place particulière aux ONG consiste à créer un mécanisme s’approchant de la reconnaissance d’utilité publique ou d’une forme d’agrément en matière d’environnement. Évidemment pour limiter l’arbitraire administratif dans l’attribution ou le retrait de cette qualité un certain nombre de précautions doivent être prises mais elles ne sont pas hors de portée des techniques de rédaction de textes.

Mais, au-delà de la rédaction de textes, il serait éminemment souhaitable qu’il y ait une évolution de la jurisprudence du Conseil d’État sur l’ouverture du prétoire aux ONG. En effet, de manière traditionnelle, cette juridiction, qui est amenée à juger de la légalité des principales décisions d’urbanisme, plans ou projets, admet de manière très restrictive l’intérêt à agir de ces personnes morales contre les décisions administratives en général et celles en matière d’urbanisme en particulier. Or, la possibilité de former des recours fondé sur l’intérêt général environnemental ou urbanistique que défendent ces personnes morales est un des éléments clés du réinvestissement de l’urbanisme : la menace de la censure d’un projet par le juge est en effet un des facteurs les plus puissants pour remettre le droit et le respect des normes au centre du dispositif et par conséquent également les personnes morales qui peuvent disposer de cette arme du recours juridictionnel.

C : La propriété contre les excès de la propriété

Enfin il ne faut pas estime le rôle important que peut jouer la motivation fondée sur la protection du droit de propriété pour se prémunir contre les externalités négatives en matière d’urbanisme et d’environnement d’un projet situé dans le voisinage. A titre d’exemple, à l’heure où le recours à l’énergie solaire devient un enjeu important pour pallier les insuffisances de la distribution d’électricité par le réseau, une atteinte à l’ensoleillement d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble par un projet de construction plus élevé constitue un préjudice sérieux et il faudrait permettre aux propriétaires d’immeubles qui en sont atteints de faire davantage valoir ces troubles anormaux de voisinage que ce que la jurisprudence permet aujourd’hui, en particulier en permettant d’user des procédures rapides en référé.

On le voit, il existe toute une série d’instruments qui ont tous pour objet, ou pour effet, de construire un cadre procédural, judiciaire mais surtout administratif qui favorise la participation de différents types de publics et d’organisations, ce qui conduirait à une amélioration du caractère inclusif de l’urbanisme de Beyrouth à un double titre : d’abord par une participation accrue à la définition des choix d’urbanisme, ensuite par cette participation accrue conduirait elle-même sans doute à la prise de décisions plus inclusives.

C’est ici qu’intervient le second temps plus prospectif que j’envisageais en commençant : la mise en tension des acteurs de l’urbanisme.

II : une mise en tension des acteurs publics de l’urbanisme pour favoriser des choix plus inclusifs en matière d’urbanisme

Tout l’intérêt du cadre procédural évoqué dans le point précédent provient, on l’aura compris, du fait que la participation accrue du public, des ONG voire des propriétaires, est de nature à conférer une nouvelle centralité aux enjeux d’urbanisme dans le débat public et, en donnant aux forces de la société civile des armes nouvelles, de placer les acteurs publics face à des attentes et à des demandes susceptibles de s’exprimer et de le faire avec une certaine force juridique.

la participation accrue du public et des ONG est de nature à conférer une nouvelle centralité aux enjeux d’urbanisme dans le débat public

Il faut ici souligner le rôle important du droit : si les décisions d’urbanisme illégales sont facilement contestables juridiquement, si les décisions juridictionnelles ont des effets réels ( ce n’est pas le lieu de le développer ici mais ces effets peuvent être différents de la seule sanction pénale ou de la démolition : la nullité des ventes, la suppression assurances et de l’accès au crédit, une fiscalité pénalisante peuvent s’ils sont bien combinés, jouer un rôle efficace également) alors cela place les acteurs publics de l’immobilier en tension et impose d’opérer des choix plus efficients et plus respectueux d’un certain nombre de principes juridiques qui sont au centre des enjeux de l’urbanisme inclusif.

Face à cette augmentation de la place du débat public et à la difficulté accrue de laisser passer des projets illégaux ou aux externalités négatives excessives, les acteurs publics seront en effet contraints d’opérer un travail de restructuration des documents d’urbanisme visant à mettre en place un cadre juridiquement sécurisé et plus efficient. C’est ici que, paradoxalement, le faible niveau de perfectionnement de la législation d’urbanisme est paradoxalement une chance : elle permet en effet de faire adopter dans des délais plus brefs et avec des formes moins contraignantes que dans la majeure partie des pays occidentaux. On l’a bien vu avec le plan des déplacements doux élaborés en 2010 qu’on a évoqué plus haut : malgré son caractère novateur et son objet particulier il n’y avait aucune difficulté à l’adopter dans les cadres juridiques du droit libanais actuel.

On peut également espérer que le développement du débat public sera l’occasion d’aller vers une réforme plus globale de la planification d’urbanisme et de ce que l’on pourrait appeler les « législations connexes » (domaine public, notamment maritime, patrimoine), dont on sait les faiblesses mais aussi les projets de réforme en cours d’examen (ou d’enterrement) à la Chambre des députés.

conclusion

Comme je le disais en commençant, je ne prétends pas avec les pistes dressées ici avoir de solution miracle pour remédier aux insuffisances de la planification urbaine de Beyrouth. Cependant, et paradoxalement, je pense que cette période de crise, est peut-être le bon moment pour faire avance des projets de réforme. Par ailleurs, comme on l’a vu, parler d’urbanisme inclusif pour Beyrouth c’est en réalité parler d’urbanisme tout court et c’est finalement cela la question essentielle : sera-y-t-il possible de donner à Beyrouth les outils et le contenu d’une planification urbaine digne de son aura internationale autant que de sa mémoire. On peut espérer, pour reprendre le titre de ce blog, qu’un jour « fi kahraba »…

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Par frolin

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