Peut-on chroniquer des vins (libanais), dans un blog juridique ?

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Chers lecteurs, je ne vous laisse pas attendre plus qu’une ligne la réponse à cette question considérable et qui engage notre avenir à tous : la réponse est oui. Je dirais même qu’elle relève d’une profonde logique car il y a, entre le vigneron et le juriste, des analogies plus profondes que l’on ne l’imagine de prime abord.

Le vigneron est aux prises avec des éléments : le géologie, le terroir, le climat et ses variations, la plante et ses cycles végétatifs complexes. De tout cela, par des soins attentifs, le vigneron va devoir tirer le meilleur parti : savoir quand tailler, quand désherber, ou pas, quand vendanger, pour ensuite mener le travail du chai : travail qui mène des raisins arrivés au pressoir à la mise en bouteille avec combien d’étapes intermédiaires : tri des raisins, pressage, macération, fermentation(s), assemblages de parcelles ou de cépages, pour aboutir à un jus qui garde sa part de mystère même s’il est le produit de tous ces éléments et de tous ces travaux.

Or, que fait d’autre le juriste ? Rien, lui aussi est au prise avec des éléments sur lesquels il n’a qu’une faible prise : des faits, un droit positif, des idées générales sur le droit, un contexte social et peut être même anthropologique. De tout cela il va devoir tirer un fruit que lui aussi devra presser, transformer en la construction d’une réflexion juridique (c’est ce que l’on appelle une opération de qualification juridique, la plus noble de l’artisanat juridique), il devra l’éprouver (j’allais dire la faire fermenter mais l’analogie est ici excessive), l’approcher d’autres, la confronter, pour la mener à son terme. Et à la suite de ce long travail, il peut espérer fournir, à ses étudiants, ses clients, ses lecteurs, le fruit de son travail , dont la pertinence et la qualité garent eux aussi leur part de mystère et ne se dévoileront parfois qu’avec le temps.

Il y a dans les notations subtiles et profondes de Jean Carbonnier

Quelque chose qui a à avoir avec les subtilités d’un grand Bordeaux

Si j’osais (mais j’ose rassurez-vous, j’ose), j’irai même jusqu’à pousser cette analogie des idées générales aux individus. Ne trouvez vous pas en effet qu’il y a dans les notations subtiles, profondes et marquées par la patine du temps de Jean Carbonnier quelque chose qui a à voir avec les complexités d’un grand Bordeaux et dans les affirmations tranchées, un peu rugueuses quoiqu’enveloppées dans un style élégant voire altier, de Georges Vedel un rapprochement avec un Châteauneuf du Pape qui n’aurait pas encore tous ses tannins complètement fondus ? Au-delà même de nos grands anciens il m’arrive, je l’avoue, de comparer certains de mes collègues à des cuvées plus ou moins réussies : des beaujolais nouveaux de l’actualité, des vins nature des tendances actuelles, d’aimables mono-cépages dont on connaît le goût à l’avance, mais aussi de subtils pinots noirs bourguignons qui, même dans leur jeunesse, font jouer des notes élégantes et subtiles, des vin jeunes dont on mesure déjà le potentiel de garde, de vieux muscadets que l’on avait jadis consommés dans leur fraicheur et qui trouvent quelques décennies plus tard un équilibre et une puissance que l’on ne leur imaginait pas (car oui, je vous l’affirme chers lecteurs, les muscadets vieillissent fort bien), voire quelques pépites qui, à peine vieillies, vous livrent déjà des horizons insoupçonnés, des sortes de chefs d’œuvre. Je ne doute pas qu’il plaira à chacun ici, de placer les noms qu’ils désirent sur ces étiquettes…

Les lignes qui précèdent, de toute évidence trahissent mon tropisme français. Il y avait pourtant cette parenthèse « (libanais) « , dans le titre. Mais où est donc passé le Liban dans tout cela ? Crioyez vous que je sois, comme la puissance mandataire qui organisa la « foire exposition de Beyrouth » de 1921 et décerne force médailles  « de grand prix », d’honneur ou d’or à la Veuve Amiot, à Bouchard Ainé et fils, à Perrier Jouet ou à la Veuve Cliquot pour ne décerner, dans le jury annexe de la « participation syrienne » une seule et unique médaille d’argent aux vins de « Khouri Helou J.-N. » ? (je vous invite à ce sujet à consulter cette liste des prix dans l’ouvrage aussi passionnant que parfois un peu ridicule « La Syrie et le Liban en 1921, La Foire exposition de Beyrouth, conférences et récompenses« , disponible sur gallica ici).

Nullement, nullement. C’est, il est vrai, avec une culture toute française de la vigne et du vin que j’ai abordé les vins libanais, mais avec également l’envie de les découvrir pour eux-mêmes et justement surtout de découvrir ceux qui n’essayent pas d’imiter des modèles extérieurs : des éternels assemblages cabernet sauvignon-merlot-petit verdot pour essayer de fabriquer du Bordeaux dans la Bekaah, ou des épouvantables jus des planche turques ou hongroises des hauteurs de Batroun, qui caricaturent les vins espagnols (pas de nom pas de nom !).

J’ai envie de vous faire découvrir la « nouvelle scène » du vin libanais

les cépages locaux, les francs de pied, les « sans sulfite ajouté et bien d’autres »

Ce que j’ai envie de vous faire découvrir, c’est ce que l’on pourrait appeler en termes un peu internationaux « la nouvelle scène du vin libanais » : ces vignerons parfois historiques, parfois nouveaux venus qui font émerger de nouveaux horizons et qui se révèlent passionnants : les cépages locaux que l’on ne distille plus en Arak mais qui, bien menés, avec des rendements maitrisés produisent des jus passionnants : Obeidï, Merweh et d’autres qui sont en train d’apparaitre ; le pari de vignes « franc de pied », car il semble que le Liban ne connaisse pas trop le Phylloxera et puisse se passer des portes greffes américains ; ceux qui, profitant des climats du Liban, s’essayent à la biodynamie, au sans sulfite ajouté ; ceux encore qui tentent l’acclimatation de cépages inédits : Riesling, Mourvèdre, Carignan ; ceux qui oublient les fûts de chêne et les « châteaux ». Bref ceux qui, au Liban comme ailleurs, inventent les vins de demain.

Dans la difficulté de l’économie libanaise, ils sont d’autant plus méritants que les équilibres économiques sont difficiles à trouver : souvent de petits domaines et des rendements limités, la « matière sèche » (bouteille, étiquette bouchon) et le matériel de cave, dont les prix exprimés en dollars ont flambé, la commercialisation plus difficile et l’export renchéri… Les difficultés sont multiples et malgré tout le dynamisme ne se dément pas.

C’est tout cela que, dans les billets qui suivront, j’aimerais vous faire découvrir en même temps que je le découvre moi-même en espérant vous donner envie de vous intéresser à ce mouvement, à ce qu’il y a dans les bouteilles autant qu’a ce qui se passe autour d’elles car, et je dois refaire ici un lien avec le droit, si le droit libanais et sa mise en œuvre se révèlent bien souvent frustrants à analyser, le vin libanais, lui, se révèle aussi riche que captivant et on se plaît à espérer, pour reprendre l’analogie du début de ce billet qu’un jour, il en ira du droit du Liban comme de son vin…

A propos de l'auteur

1 Comment

  • Super article, qui donne envie de découvrir les différents vins Libanais. J’ai presque honte de ne connaître que les quelques vins qu’on achète dans les grandes surfaces.

Par frolin

frolin

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